Il est une des(plus belles) anomalies de la chanson française. Batlik trace sa route en zigzags à l’écart du peloton. Ni devant, ni derrière, ailleurs, sans doute sur une parcelle qui n’appartient qu’à lui. La taille de son fan-club n’est pas proportionnelle à son talent. Et ceux qui ont l’oreille alerte l’ont, à juste raison, toujours déploré. Il cultive l’art du paradoxe et de la distanciation. Personnage à la fois marginal, angoissé, consciencieux et discret. Observateur lucide de son décalage. Droit dans ses bottes aussi. Ne pas s’attendre à du racolage ou à une séduction facile de sa part. Le retranchement lui sied plutôt bien, il nourrit son inspiration. Sa production discographique se révèle quasi-frénétique. Ou du moins métronomique. Treize albums depuis ses débuts. Batlik n’est jamais parti sans laisser d’adresse. Certainement par crainte du vide. Donc il comble cette sorte de trou insondable par le travail. Démarche casanière et sous le sceau de l’indépendance. Il y a bien sûr son refus de signer en maison de disques qui lui colle aux basques. Malgré plusieurs appels du pied, il s’est sans cesse montré intraitable là-dessus. Car s’il est un mot que l’impétrant détesterait voir accroché à son paletot, c’est celui d’industrie. Il rejette en bloc son système. D’où la création de son propre label « A brûle pourpoint » en 2006, situé à Aubervilliers et qui abrite aussi un studio d’enregistrement.
Éternel espoir masculin. Voilà un statut qu’on pourrait lui conférer. A la fin de ses concerts, il prend un malin plaisir à mettre en porte-à-faux les spectateurs qui ignorent son passé artistique. Batlik n’a rien lâché, n’a pas capitulé, encore moins sombré. Il croit en son étoile mais ne court en aucun pas après les sirènes de la célébrité. L’auto-congratulation, très peu pour lui. Juste peut-on lui concéder un besoin de reconnaissance. Toucher chez les gens, c’est une force motrice. Il a débuté sur un coup de tête, légèrement avant que la trentaine ne retentisse. La lecture de Nexusde Henry Miller agit comme une secousse. Puisque l’écrivain s’est mis à l’écriture sur le tard, autant embrasser comme lui cette quête de tous les possibles. Inutile d’espérer à ce que Batlik dresse la liste de ses influences musicales. Il n’a jamais éprouvé de passion démesurée pour un artiste. Le gaillard sait ce qu’il veut et sait faire : de la chanson racée, soignée et poétique. Ses doigts ne mentent pas. A la guitare, il fait de l’open tuning. Là encore, à cause d’un simple malentendu puisque il pensait que l’accordage était aléatoire. C’est la victoire de l’instinct du créateur sur la technique stérile. S’il a désormais ses propres repères pour reproduire sur scène les accords à l’identique, les morceaux des premières années sont passées à la trappe par incapacité à pouvoir les rejouer.
Les morceaux de Batlik s’écoutent d’abord dans un souffle, s’installent à leur rythme et deviennent au fil des écoutes des amis précieux et fidèles. Des élans poétiques autant farouches qu’originaux et où la métaphore se pratique sans abus. La voix est caressante, sensuelle, râpeuse, le phrasé syncopé. Ce qui frappe aussi, c’est l’écriture qui s’est resserrée au fil des années. Longtemps, Batlik a eu tendance à discourir. Les remarques éclairées de sa femme à ce sujet ont constitué un véritable déclic. C’est elle qui lui a permis de s’affranchir de cette récurrence, de trouver un équilibre salvateur. Le point de ralliement des morceaux reste le même, en l’occurrence le désenchantement. Mais le désir de préméditation a volé en éclats pour laisser la place à l’autoritarisme des mots. Ceux-ci viennent imposer leur emprise et non l’inverse. Ses chansons mélancoliques, couperets, inconsolables ou espiègles réveillent les sensibilités de l’âme. La juste logique voudrait qu’elles s’incrustent dans les synapses du plus grand nombre.
Patrice Demailly.
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